Interview Guillaume Néry (Apnéiste) - 06/2008

Apnéiste de très haut niveau, ou plutôt des profondeurs abyssales, Guillaume Néry est détenteur du record du monde de descente en poids constant à -109m ; record obtenu à la force de ses mono palmes.
A l’image des himalayistes et autres conquérants des pôles, Guillaume est un explorateur du monde des profondeurs marines.
Son terrain de jeu, l’eau bleue puis noire des grands fonds, son voyage à lui : les tréfonds de son corps d’athlète et l’exploration intérieure que procure chaque plongée dans la grande bleue.


Nutri-site : Peux-tu nous présenter ton sport en quelques lignes et ce qui t’as poussé à en faire ton métier ?

Guillaume Néry : La plongée en apnée consiste à descendre sous la mer le plus profond possible en une seule inspiration. Il y a plusieurs disciplines en apnée profonde. Moi je pratique le poids constant, c’est à dire que je plonge avec la seule force de mes palmes (ma monopalme) et sans assistance extérieure. Cette discipline est considérée comme la discipline de référence car c’est la plus pure, la plus simple et la plus sportive. A l’âge de 14 ans, j’étais attiré par les explorateurs, les alpinistes et les aventuriers qui réalisaient de grandes traversées. Pour moi, les apnéistes étaient des explorateurs du monde sous marin, un monde inconnu et fascinant. C’est vraiment ce qui m’a donné envie de plonger à mon tour et c’est toujours la raison pour laquelle je m’entraîne : découvrir l’inconnu.


Nutri-site : Peux-tu nous dire ce que tu éprouves lors d’une plongée en haut profonde ?

Guillaume Néry : Cela peut paraître paradoxal mais ce que j’aime dans l’apnée c’est cette impression de voler, mon rêve c’est de voler et dans l’eau je vole.


Nutri-site : Le poids peut-il avoir une influence sur ta capacité à durer dans l’apnée ?

NERY GUILLAUME APNEE PLONGEEGuillaume Néry : L’apnée est un sport aquatique. Sous l’eau on est en apesanteur, donc on ne porte pas son poids. Bien souvent même, les sportifs de l’eau ont une couche de graisse qui les protège du froid. Certains très bon apnéistes n’ont pas un vrai physique de sportif. Cependant, avec l’évolution du sport, la progression des performances, la professionnalisation des méthodes d’entraînements, les apnéistes d’aujourd’hui sont de vrais sportifs de haut niveau.
Dans ma discipline, j’ai besoin d’un entraînement physique important basé sur la nage avec palmes, qui me permet d’améliorer ma technique de palmage et l’efficacité de mon ondulation. Ainsi, mon poids est un révélateur de mon niveau du moment et régule mon intensité à l’effort. Cependant pour être performant en apnée pure, c’est à dire tenir le plus longtemps possible sans respirer sans bouger, je pense que le poids n’a aucune influence.


Nutri-site : Etre musclé est-ce un handicap pour ce sport (oxygénation des tissus, freinage à l’avancement, mauvaise glisse dans l’eau etc … ) ou au contraire un avantage ?

Guillaume Néry : On a souvent pensé qu’un apnéiste devait avoir des muscles longs et peu volumineux (type coureurs de fond), pour éviter une trop grande consommation d’oxygène. On en est beaucoup revenu aujourd’hui. Personnellement, je dirais de façon empirique et au seul vue de mon expérience que ce n’était qu’une idée reçue. Il ne faut pas forcément avoir une VO2 max de skieur de fond et des muscles fins d’endurance pour être bon en apnée. Un athlète avec des muscles moteurs plus volumineux et plus puissants utilisera un pourcentage de sa force maximale moins important et donc consommera moins d’énergie pour produire un effort donné. De plus, un sportif qui a un métabolisme anaérobie lactique prédominant pourra mieux faire fonctionner ses muscles sans apport d’oxygène, ce qui est intéressant pour un apnéiste car l’oxygène est sauvegardé pour les fonctions vitales (cerveau, poumons, cœur).
Bien sûr une VO2 max élevé peut être intéressante pour optimiser la récupération. Disons qu’il existe assez peu d’étude actuellement sur la performance en apnée, nous sommes donc les expérimentateurs de nos propres hypothèses.


Nutri-site : Fais-tu un entraînement particulier pour développer tes capacités pulmonaires ?

Guillaume Néry : Il est difficile de travailler sur la capacité pulmonaire isolément. On dit qu’après la croissance, on ne peut plus changer grand chose. Par un travail d’aérobie, il est possible de gagner un petit peu d’amplitude au niveau de la respiration. Certains exercices permettent de solliciter les muscles inspiratoires et expiratoires : par exemple, je nage avec un tuba avec un embout réduit, ce qui augmente la difficulté respiratoire. En plus de travailler les exercices qui augmentent la capacité inspiratoire, il est important pour les apnéistes de travailler sur la diminution du volume résiduel dans les poumons. En effet, en grande profondeur, nos poumons sont soumis a une grande pression, et il ne reste que très peu d’air dans les poumons. Essayer d’augmenter la capacité d’écrasement permettra de descendre plus profond. Pour cela on travaille en apnée en faisant des plongées avec les poumons vides, ce qui reproduit des les premiers mètres de la descente et les conditions de grande profondeur. On travaille ensuite à sec les exercices d’étirement et de souplesse en mettant l’accent sur la cage thoracique.


Nutri-site : Quelle est la principale filière énergétique qui est utilisée lors d’une longue apnée ?

NERY GUILLAUME APNEE PLONGEEGuillaume Néry : C’est la grande question qui divise. On n’arrive pas vraiment à établir un modèle universel d’une apnée. Ma discipline sportive est très particulière et unique : déjà, contrairement à tous les autres sports, on ne respire pas. Il est donc impossible d’essayer d’établir des parallèles avec d’autres activités. Ensuite, en apnée profonde, d’autres adaptations se mettent en place. L’augmentation de la pression entraîne des modifications vasculaires : le diving reflex par exemple est une adaptation humaine commune avec les mammifères marins. Lorsqu’il se met en place, il y a un afflux de sang des parties périphériques vers les parties nobles (poumons, cœurs, cerveau). Cette adaptation associée à une diminution de la fréquence cardiaque, permet de sauvegarder l’oxygène. Donc lors de toute ma remonté par exemple, alors que j’ai une fréquence de palmage assez élevée, mes muscles ne sont quasiment pas irrigués. On peut considérer alors que la filière prépondérante est l’anaérobie lactique. Mais je ne peux pas me prononcer avec certitude, ce ne sont que des hypothèses.


Nutri-site : Comment te sens-tu juste après une apnée de championnat du monde (ex après ton record) dans quel état physique et émotionnel ?

Guillaume Néry : Après la réussite d’une grande compétition, ou d’un record, aboutissement de longs mois d’entraînement, la pression ne redescend pas de suite. Etant donné que notre activité n’est pas très médiatique, nous devons effectuer un travail énorme de communication pour que le record ait des répercutions dans le futur. Je me revois, l’après midi même qui a suivi la réussite de mes 109m, sur mon ordinateur, en train de trier les photos du matin pour rédiger un communiqué de presse, le téléphone dans l’autre main pour répondre au maximum aux sollicitations. C’est la particularité des sports peu reconnus : si on veut pouvoir en vivre, le travail en dehors de l’eau est tout aussi important que la performance. Ce n’est que le soir venu que j’ai pu lâcher le téléphoner et retrouver mes amis pour décompresser. En général, un gros coup de barre s’en suit et je récupère les jours suivants.


Nutri-site : Sur quoi te concentres-tu durant une plongée ? A quoi penses-tu lorsque ton esprit s’égare de ta concentration ?

Guillaume Néry : Une plongée est un véritable moment de méditation, c’est à dire que mon esprit est focalisé sur mon corps. J’essaie d’être au maximum à l’écoute de tout ce qui se passe à l’intérieur. J’aime bien dire qu’une plongée en apnée est avant tout un voyage intérieur. Je suis concentré sur la vitesse d’écoulement de l’eau sur mon visage, le degré d’écrasement de la cage thoracique, le positionnement de chacun de mes membres par rapport aux autres… le tout avec les yeux fermés afin de ne pas être parasité par les éléments extérieurs. En outre ces informations me permettent de savoir au mètre près, à quelle profondeur je me trouve pendant la descente.


Nutri-site : Peux-tu nous décrire le dernier mois d’entraînement avant un championnat du monde ?

Guillaume Néry : Le dernier mois d’entraînement est consacré en priorité au spécifique, c’est à dire à la progression en profondeur. Tel un alpiniste préparant l’Everest, nous devons adapter notre corps à un milieu extrême qui est pour nous le milieu hyperbare (milieu ou la pression est importante).
La progression est lente car elle doit respecter l’adaptation du corps. L’objectif est de plonger régulièrement dans les profondeurs proches de l’objectif et de se l’approprier. Il faut optimiser la récupération avec des étirements. Petit à petit, on sent notre corps se transformer : je deviens un vrai mammifère marin !


Nutri-site : Si tu étais un animal marin, lequel serait il ?

Guillaume Néry : Pourquoi pas un cachalot ! Ce sont les meilleurs apnéistes et surtout les plus profonds ! Ils sont capables de plonger à plus de 2000 mètres de profondeur. Ce sont de vrais explorateurs !


Nutri-site : Est-ce que le film de Luc Besson "le grand bleu" a influencé ton désir de devenir un apnéiste et quel regard portes-tu sur ce film culte des années 80 ?

NERY GUILLAUME APNEE PLONGEEGuillaume Néry : Contrairement à la majorité des apnéistes, c'est l'apnée qui m'a amené au Grand Bleu et non l'inverse. J'avais 6 ans en 1988 et n'ai donc pas été touché par le film à sa sortie. Par contre j'ai vu et revu le film au cours de ma carrière et mon regard a évolué avec l'évolution de ma carrière. Mon éducation d'apnéiste a été très anti-Grand Bleu: en effet, on y voit Jacques Mayol et Jean Marc Barr comme des champions individualistes et quelque peu allumés, alors que notre école à Nice prône la pratique collective de l'apnée dans un esprit sportif et avec comme objectif le développement de l'apnée pour tous.
Le Grand Bleu montre l'apnée comme un sport réservé à une élite d'allumés yogis shootés à la profondeur alors que la majorité sont des athlètes qui s'entraînent et s'entraident. Cette image nous a longtemps collé à la peau et nous suivra encore un petit moment. C'est pour cela que j'étais très Anti Grand Bleu dans mes premières années, c’était une forme de révolte.
Maintenant, je regarde le Grand Bleu avec un œil plus détaché, et il faut reconnaître que c'est un film merveilleux, une belle romance une belle histoire. Le film reste quand même de toute beauté sur le plan esthétique, avec des images sous marine à couper le souffle. Je trouve que Luc Besson a parfaitement retranscrit l'atmosphère du monde du sous marin et je retrouve parfois les mêmes émotions en visionnant certaines images, lorsque je suis en moi-même en apnée. Une petite précision toutefois car à ses profondeurs on ne parle plus de «Grand bleu » car il fait plutôt tout noir en bas !


Nutri-site : As-tu un conseil à donner aux personnes qui pratiquent ou souhaitent se lancer dans l’apnée ?

Guillaume Néry : Le plaisir doit rester maître de la pratique. On a souvent envie de battre ses propres records, comme tenir plus longtemps sans respirer ou plonger toujours plus profond. Oubliez les chiffres dans un premier temps, laisser la montre et le profondimetre de côté et centrez-vous sur les sensations. L’apnée est un sport de sensation qui privilégie le bien-être. Devenez aquatique !
Enfin et surtout, ne plongez jamais seul. L’apnée reste une activité à risques. Le mieux est de se rapprocher de structures compétentes. A Nice, mon club, le CIPA accueille toute l’année des débutants et organise des stages tous niveaux.

Voir le site de Guillaume Néry : www.guillaumenery.fr

Consulter aussi l'Interview "Nutrition" de Guillaume Néry pour tout savoir sur son alimentation.

 NERY GUILLAUME APNEE PLONGEE

 

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